Election d’un bâtonnier : l’effectivité du contrôle du respect des Principes Généraux du droit électoral
Publié le :
11/07/2018
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2018
Dans un arrêt rendu le 5 avril 2018, la première chambre civile de la Cour de cassation a sanctionné une cour d’appel pour n’avoir pas procédé aux vérifications relatives à l’élection d’un bâtonnier.
Cet arrêt est l’occasion de rappeler d’une part, le corpus du droit électoral qui s’applique aux élections des bâtonniers et des conseils de l’ordre (I) et d’autre part et surtout, les précisions apportées sur les obligations du juge judiciaire lorsqu’il intervient en tant que juge électoral (II).
Le 6 avril 2017 ont été organisées des élections en vue de l’élection du bâtonnier de Nice.
Celles-ci ont abouti à l’élection, au deuxième tour du scrutin, de M. B... et Mme C..., en qualité respective de bâtonnier et vice-bâtonnier de l’ordre des avocats audit barreau, par 459 voix contre 441 sur un total de 900 suffrages exprimés, pour un nombre de votants de 912, 12 bulletins ayant été déclarés blancs ou nuls.
Par lettre recommandée avec accusé de réception daté du 13 avril 2017, reçue au greffe de la cour le 18 avril 2017, quatre avocats au barreau de Nice, ont saisi la cour d'un recours en annulation de ces élections.
Ils ont fait valoir que des irrégularités entacheraient les procurations qui comporteraient des écritures et des encres différentes démontrant l'existence de subdélégations, et soulignant que l'écart de voix entre les deux candidats n'a été que de 18 voix sur 912 suffrages exprimés.
Par lettre du 2 juin 2017, le bâtonnier de l'ordre des avocats de Nice a indiqué à la cour qu'il avait été procédé à la destruction de tous les documents électoraux, en l'absence de réception d'une demande dans le délai de dix jours suivant l'élection.
Au regard de cette disparation des documents électoraux, le parquet général de la cour d’appel concluait à l’annulation de l’élection contestée.
Par une décision rendue le 31 octobre 2017, la cour d’appel d’Aix-en-Provence n’a pas suivi le raisonnement des requérants et du parquet général. Elle a rejeté le recours au motif que la destruction du matériel et des documents électoraux ne suffisait pas à établir l’insincérité et l’irrégularité du vote contesté.
La Cour de cassation a cassé par un arrêt rendu le 5 avril 2018, la décision de la cour d’appel d’Aix-en-Provence et renvoyé la cause et les parties devant la cour d’appel de Lyon.
Cet arrêt est très riche d’enseignement en matière électorale ordinale.
I – LES PRINCIPES GENERAUX DU DROIT ELECTORAL : CORPUS DU DROIT ELECTORAL ORDINAL.
Il convient de préciser d’emblée que la Jurisprudence judiciaire considère, à bon droit, que les dispositions du code électoral ne sont aucunement applicables et transposables aux élections ordinales. Ce qui se comprend parfaitement puisque ce code a été conçu pour régir les élections politiques et non professionnelles, ces-dernières répondant à une logique représentative.
Cependant, si le code électoral n’est pas applicable, la Jurisprudence judiciaire s’est inspirée des principes dégagés dans le contentieux électoral de droit commun par le juge administratif, juge électoral par excellence, pour élaborer un corpus de règles fondamentales qu’il nomme les Principes généraux du droit électoral.
Ce corpus a été élaboré à travers plusieurs décisions rendues.
C’est un arrêt rendu le 10 juillet 1992 par la cour d’appel de Paris qui va donner le formellement la de cette construction intellectuelle. Statuant sur une protestation électorale concernant les premières élections au Conseil National des Barreaux, la cour va indiquer que le règlement intérieur doit respecter les principes généraux du droit électoral :
« Considérant que si aucun texte spécifique ne régit la procédure d’élection des membres du Conseil national des barreaux, il n’en demeure pas moins que celle-ci doit respecter les principes généraux du droit électoral dont l’objet est d’assurer la sincérité des opérations de vote et de permettre leur contrôle par le juge ».
Un arrêt très intéressant rendu le 25 février 2000 par la cour d’appel d’Aix-en-Provence va se référer à cette notion en l’approfondissant :
« que les élections professionnelles placées sous la responsabilité du bâtonnier et de son Ordre sont soumises au respect des principes généraux du droit électoral dont l’objet est d’assurer la sincérité des opérations de vote et de permettre le contrôle par le juge ».
Cet arrêt est intéressant car le juge judiciaire va annuler le scrutin litigieux sur deux éléments qui contreviennent aux principes généraux du droit électoral applicable :
- Le déroulement des opérations électorales n’a pas permis d’assurer le secret du vote qui conditionne l’exercice effectif de la démocratie :
- L’absence de moyen de contrôler des votes émis en constatant qu’aucune liste d’émargement n’a été mise en place par les membres du bureau de vote :
La cour d’Aix-en-Provence indiquera ainsi :
« qu’aucune tradition antérieure ne peut justifier une pratique différente dès lors qu’elle est contraire aux principes généraux du droit électoral ».
Dans la même mouvance, la cour d’appel de Paris dans une décision rendue le 27 janvier 2005 va rappeler d’une part, la non-application du code électoral aux élections ordinales et d’autre le contenu exact de ce que recouvre la notion de principes généraux du droit électoral :
« Qu’aucune disposition légale ne prévoit l’application des règles du code électoral à des élections professionnelles placées sous la responsabilité du bâtonnier et de son ordre ;
Que de nombreuses prescriptions du code électoral seraient d’ailleurs inapplicables pratiquement à de telles élections professionnelles ;
Qu’en conséquence les dispositions du code électoral, réservées aux élections politiques, n’avaient pas à être respectées pour les élections litigieuses ;
Que cependant, comme toute élection, celles intéressant les organes dirigeants d’un barreau sont soumises au respect des principes généraux du droit électoral dont l’objet est d’assurer la complète information de l’électeur, le libre choix de celui-ci, l’égalité entre les candidats, le secret du vote, la sincérité du scrutin et le contrôle du juge ; »
Enfin, dans un arrêt rendu le 27 septembre 2006, la Première Civile de la Cour de Cassation a confirmé le contenu de cette notion de principes généraux du droit électoral à laquelle se réfèrent les cours d’appel, juges du contentieux électoral ordinal :
« Mais attendu que l’arrêt énonce qu’il n’existe aucun motif sérieux de nature à mettre en doute la régularité des opérations électorales, la complète information des électeurs, leur liberté de choix, le secret du vote et la sincérité du scrutin ; qu’ayant constaté que les principes généraux du droit électoral avaient été respectés et que l’irrégularité invoquée, relative à la saisine de la Commission nationale informatique et des libertés, avait été sans incidence sur les conditions et les résultats du vote, la cour d’appel a, par cette seule motivation, légalement justifié sa décision ; »
En outre, un arrêt rendu le 11 juin 2015 par la cour d’appel de Paris dans le cadre d’un recours visant la candidature d’un avocat au bâtonnat de Paris précisait au besoin la totale exclusion des dispositions du code électoral en la matière :
« Considérant que M. I. J. fonde sa réclamation sur l’article 12 du décret du 27 novembre 1991 qui s’inscrit dans le cadre de l’élection du bâtonnier et des membres du conseil de l’ordre ;
Que ce texte prévoit la possibilité pour tout avocat disposant du droit de vote de déférer les élections à la cour d’appel dans le délai de huit jours qui suivent ces élections ;
(…)
Que la stricte lecture de ce texte en exclut toute interprétation, notamment donnée à la lumière de certaines dispositions du code électoral, étrangères à la présente élection d’ordre professionnel ; »
Les Principes Généraux du Droit Electoral sont ainsi des principes directeurs a minima qui doivent, par essence, être présents dans toute organisation d’une élection non politique où l’organisation est plus souple qu’une élection politique. Rentrent ainsi dans les Principes Généraux du Droit Electoral toutes les dispositions devant garantir le secret du vote de l’électeur (obligation d’une enveloppe pour recevoir le bulletin de vote, installation d’un isoloir, etc.), la transparence des opérations électorales (tenue d’une liste d’émargement signée des électeurs votants, présence d’une urne, constitution d’un bureau électoral, l’établissement et la vérification des procurations, etc.).
L’apport de l’arrêt de cassation rapporté du 5 avril 2018 est qu’il prescrit le check-up qui doit être appliqué par le juge pour vérifier in concreto le respect des Principes généraux du droit électoral précités.
II – LE CONTROLE DES OPERATIONS ELECTORALES PAR LE JUGE JUDICIAIRE : UN CONTROLE EFFECTIF A L’INSTAR DE CELUI APPLIQUE PAR LE JUGE ADMINISTRATIF EN MATIERE D’ELECTIONS.
Dans les élections politiques, le juge administratif contrôle toujours les actes formalisant une élection : qu’il s’agisse notamment des listes d’émargements, des procurations, des bulletins litigieux ou de tout élément lui permettant d’apprécier la validité des résultats et surtout la sincérité qui entoure ceux-ci.
D’ailleurs, les documents électoraux des élections contestées sont systématiquement adressés par le préfet, organe de contrôle de toutes les élections politiques organisées par département, au tribunal administratif concerné ou à la juridiction spécialement désignée pour connaître du contentieux de certaines élections nationales ou locale (notamment Conseil constitutionnel pour les élections des parlementaires, Conseil d’Etat pour les élections régionales et territoriales).
Dans l’arrêt présentement commenté, la Cour de cassation indique que la cour d’appel aixoise avait une obligation minimale, celle de contrôler la régularité et la sincérité du scrutin contesté.
Pour effectuer ce contrôle, il lui faut impérativement, comme pour le juge administratif, les instruments et documents de vote. En effet, comment le juge judiciaire peut-il apprécier la sincérité d’une élection et les éventuelles irrégularités qui l’affectent sans pouvoir disposer et analyser les instruments électoraux qui ont servi à la tenue de l’élection contestée et permettre ainsi d’apprécier les irrégularités détectées ?
La Cour de cassation, en l’espèce, ne se contente de rappeler de manière générale le contrôle obligatoire qui s’impose au juge judiciaire en matière électorale, elle indique très clairement la finalité que recouvre ce contrôle effectif, à savoir la vérification des mentions du procès-verbal des opérations de vote au moyen du matériel et des documents électoraux.
Ce qui implique que le juge judiciaire statuant comme juge électoral d’élections privées doit, à l’instar du juge administratif, procéder à deux opérations fondamentales de contrôle :
- Première opération de contrôle : elle consiste à vérifier scrupuleusement les mentions portées au procès-verbal des opérations de vote. Ce document doit relater, de manière chronologique, toutes les étapes du scrutin, depuis l’ouverture de celui-ci jusqu’au dépouillement des bulletins avec leur catégorie de classement. Ce procès-verbal doit notamment comporter le nombre d’électeurs avocats inscrits au tableau en capacité de voter, le nombre d’électeurs votants, de bulletins blancs et nuls, de suffrages exprimés, des suffrages obtenus par candidat et par tour de scrutin. Il doit notamment également mentionner les procurations avec le nom de chaque mandant et de la désignation de son mandataire.
- Deuxième opération de contrôle : elle vise à confronter les éléments donnés par le matériel et les documents électoraux pour voir si les mentions portées sur le procès-verbal sont conformes auxdites informations figurant dans le procès-verbal des opérations de vote.
La difficulté insurmontable qui se présente dans cette affaire, c’est l’impossibilité pour le juge électoral de disposer des procurations litigieuses et d’en juger de leur validité, la totalité du matériel et des documents électoraux ayant été détruit.
Or, il est évident qu’une telle destruction se heure de plein fouet aux Principes de droit électoral précités dont la finalité est d’assurer et de démontrer la sincérité du scrutin ordinal.
Contrairement à ce que la cour aixoise indiquait, il n’est point besoin de disposition spécifique interdisant formellement la destruction de pièces électorale.
En effet, toute élection de par sa nature, impique la conservation indispensable des éléments relatifs aux opérations électorales d’un scrutin car ils sont des marqueurs qui permettent d’apprécier le respect des Principes Généraux du droit électoral que tout juge électoral judiciaire doit vérifier le respect en cas de contestation.
C’est une obligation impérative sans laquelle l’office même du juge judiciaire de l’élection ne servirait absolument à rien : on ne peut vérifier la sincérité d’une élection ordinale ou professionnelle sans vérifier de manière effective le matériel et les documents électoraux qui en sont des indicateurs et des marqueurs permettant d’apprécier in concreto la sincérité des opérations relatives à l’élection.
La Haute cour judiciaire sanctionne la cour d’appel d’Aix-en-Provence par un attendu cinglant :
« (…) Attendu que, pour rejeter ce recours, après avoir constaté que le bâtonnier en exercice avait détruit le matériel et les documents électoraux à l’appui du procès-verbal des opérations de vote avant l’expiration du délai de recours ouvert au procureur général, l’arrêt retient que le bâtonnier n’a commis aucune faute, dès lors qu’aucune disposition n’interdit la destruction de ces pièces ;
Qu’en statuant ainsi, alors qu’une telle destruction faisait obstacle au contrôle du juge de l’élection, la cour d’appel a violé les textes susvisés ; »
La position adoptée par la Cour de cassation rejoint celle appliquée de longue date par le Juge du Palais Royal, juge par essence et spécialiste du droit électoral.
Le Conseil d’Etat considère qu’à partir du moment où le juge de l’élection ne peut pas vérifier objectivement les éléments probatoires d’une élection, il procède à l’annulation de celle-ci.
Deux arrêts du Conseil d’Etat pris parmi les décisions rendues illustrent cette position du juge électorale de droit commun.
Le premier a trait à une décision rendue le 24 juin 1981, Elections municipales de Grand-Bourg de Marie Galande (Guadeloupe), où durant les opérations de dépouillement « divers documents électoraux ont été détériorés ou détruits ». Le Conseil d’Etat a considéré à bon droit que « les résultats du scrutin, compte d’ailleurs du faible écart de voix existant entre la liste proclamée élue et la liste conduite par M. R., présent pas des garanties suffisantes de sincérité », validant ainsi l’annulation décidé par le tribunal administratif de Basse-Terre.
Le deuxième concerne un arrêt rendu le 14 janvier 2002, Elections municipales de Bort-les-Orgues. Dans ce contentieux électoral, le Juge du Palais Royal a confirmé l’annulation du scrutin par le tribunal administratif de Limoges en ce que la « destruction » du document électoral (qui peut être par exemple les bulletins de vote, les procurations, la liste d’émargement litigieux). « prive le juge de l’élection de la possibilité de vérifier » le ou les documents visés, est ou sont « dans les circonstances de l’espèce, de nature à altérer la sincérité du scrutin »
Il est clair que la destruction du matériel et des documents électoraux ayant servi à l’élection ordinale prive ipso facto le juge judiciaire de tout contrôle des opérations garantissant la sincérité du scrutin contesté, la Cour rappelant que le juge judiciaire saisi d’un recours en annulation « contrôle la régularité et la sincérité du scrutin ; qu’à cet effet, il vérifie les mentions du procès-verbal des opérations de vote au moyen du matériel et des documents électoraux qui doivent être conservés par l’autorité responsable du bon déroulement du scrutin ;»
Sans se référer expressément dans sa décision aux Principes généraux du droit électoral, il s’évince que ces principes y sont pourtant présents en arrière-plan et de façon subliminal. La Cour de cassation donne le référentiel devant permettre au juge judiciaire de contrôler et vérifier que les opérations électorales ont été conformes et respectueuses desdits principes généraux du droit électoral.
Dès lors qu’il ne dispose pas du matériel et des documents électoraux, éléments marqueurs, qui lui sont indispensables pour lui permettre d’apprécier les opérations du scrutin contesté, il doit en tirer les conséquences, tout comme le fait le juge administratif, c’est-à-dire procéder à l’annulation du scrutin consécutivement à l’impossibilité pour lui de disposer des outils pouvant démontrer la sincérité du scrutin litigieux.
Le parquet général de la cour d’appel avait développé une argumentation qui rejoint la position de la Cour de cassation motivant la cassation prononcée :
« La précipitation avec laquelle les documents litigieux ont semble-t-il été détruits malgré la connaissance d'une contestation ne permet pas à la cour d'exercer son contrôle sur la régularité des élections. La non communication des bulletins ne permet pas non plus à la cour de vérifier notamment l'existence, conformément au règlement intérieur, d'une pièce d'identité accompagnant les procurations, et le silence du procès-verbal concernant le nombre de votes par procuration ne permet pas enfin à la cour de s'assurer que le moyen soulevé n'a pu avoir aucune incidence sur le résultat des élections. »
En conséquence, il convient de rappeler aux bâtonniers et organisateurs d’élections privées l’impérieuse nécessité pour eux de conserver, au-delà des délais de recours de contestatons, l’intégralité du matériel et des documents électoraux relatifs aux élections ordinales qu’ils organisent. Il ne faut surtout pas s’aventurer à détruire ceux-ci et faire ainsi peser le risque majeur et vraisemblable d’une annulation.
Patrick Lingibé
Ancien bâtonnier de Guyane
Membre du Bureau de la Conférence des Bâtonniers
Ancien membre du Conseil National des Barreaux
Spécialiste en droit public
Membre du réseau international d’avocats GESICA
www.jurisguyane.fr
Ancien bâtonnier de Guyane
Membre du Bureau de la Conférence des Bâtonniers
Ancien membre du Conseil National des Barreaux
Spécialiste en droit public
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